annie barrat


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Ma pratique de la peinture s'inscrit dans une continuation de l'abstraction. Afin d'exprimer un nouveau regard, je tente à ma manière d'habiter des formes simples, informées et informantes, de notre monde contemporain pour produire des images-pensées.
La peinture provient d'une expérience accumulée de l'existence, en même temps qu'elle est une exploration du monde toujours liée à la présence à l'autre. " Tout est impliqué, tout est compliqué, tout est signe, sens, essence."(1) Elle est le lieu et le temps d'un travail de montage, imbriquant toutes sortes de temps, destiné au partage du sens ou de l'absence du sens. Il en résulte l'affirmation d'une trajectoire plus qu'une identité.

"Entre question et réponse, un point errant, c'est à dire une ligne, une ligne de désignation : tantôt ceci, puis cela.Plié et déplié, replié et ouvert." (2)

Au départ, un regard porté sur une réalité abstraite du monde, sur des données diverses repérées dans un environnement immédiat, actuel. Des images de l'ordre d'une figuration schématique, des attentions à des objets, à des détails promis à l'invisibilité, des émotions décantées, des réminiscences, constituent les éléments conducteurs, lesquels sont recyclés à différents niveaux, au bénéfice d'une volonté d'ouverture opérée par la peinture même.

L'expression se veut épurée, limpide, légère .
Le vide est fondateur, rien de superflu, le vocabulaire élémentaire et restreint : des lignes-trajets, des étendues de couleur, inséparables de la structure du tableau qui elle même nous renvoie au rythme, nécessaire soufle et respiration de la toile.
Les formes dessinées "d'un seul tenant", suivant des mouvements d'inflexion lient l'intérieur et l'extérieur et engendrent la fluidité.
La couleur est l'incarnation du "voyage". La tonalité générale est plutôt pâle, heureuse et grise.
Les aplats monochromes et le tracé en léger relief sont intimement liés à la surface qui fonctionne comme un milieu dématérialisé, dans l'éclair.

L'intérêt pour le trajet et le transitif agit comme une énergie, une force disponible, vibratoire qui prends acte dans la couleur et assure une médiation entre le sensible et le concept.
Pas de but. C'est toujours, " moins pour arriver que pour partir ", par le milieu.
Construction, précision, et lisibilité sont les principes essentiels de ce marquage phosphorique de la voie et du temps qui file entre les doigts et dessine une conscience de" l'intranquilité".

Un univers subjectif s'énonce au travers "d'une loupe temporelle" (Benjamin) pour donner consistance à une stratégie possible d'existence :
des silences, des lignes de temporalité, des points de vue multiples, des polarités neutralisées, des couplages complémentaires, des directions spatialisées, des allures...
La marche est infinie et singulière, la vision est nomade, horizontale et décentrée, peu ou pas de verticales, des conjonctions, des disjonctions, des grands et courts circuits, des doutes étirés,
une géométrie du jeu où les angles sont arrondis,
un parcours en zigzag, une errance manifeste qui rappelle que la force s'origine d'être ailleurs, et que l'épuisement peut durer longtemps.

L'ensemble des tableaux reste fragmenté et disponible avant que ne se pose le problème de comment cela fonctionne ?
L'exposition est à envisager
comme une mise en présence d'objets perdus, redisposés, dont la couleur fait résonner le sentiment du possible dialogue
comme une musique d'accompagnement donnée à entendre, qui glisse sans peser
" on air ambient "
comme une mise à disposition de pièces détachées en partance
comme un déroulement-enroulement d'une pensée labyrinthe, constitué de césures, de shunts en attente de connexion
faisant appel aux capacités de surfer de chacun
servant à relier des êtres humains dans un monde atomisé.



(1) . Gilles Deleuze, Proust et les signes, Quadrige/ PUF 1987
(2).Jean-Christophe Bailly, Panoramiques, Christian Bourgois Éditeur

Annie Barrat Mai 2001