Pour tenter de nommer ce qu'elle peint, Annie Barrat utilise, dans un texte récent, une image qui a la beauté du paradoxe : "une réalité abstraite du monde". Abstrait pouvant s'entendre, ici, comme un équivalent de "extrait". Les formes qui habitent et constituent les toiles d'Annie Barrat seraient le signe synthétique, transmué en peinture, d'une réalité prosaïque vue dans le monde. Mais "abstrait" peut également s'entendre, plus singulièrement, comme ce qui qualifie le terme "réalité". Du monde, l'artiste peindrait donc la "réalité abstraite". Autrement dit, cette part d' abstraction que l'artiste décèle dans le visible, sans avoir ni à l'inventer, ni à l'extraire d'une gangue de détails secondaires. Réalité abstraite : il y a, dans cette étrange union des contraires ­ la rhétorique parle d'oxymore ­ quelque chose d'un équivalent, dans l'ordre du langage, de la sensation que l'on ressent devant une toile d'Annie Barrat. Sensation contradictoire, précisément, qui fait la force ­ c'est-à-dire, dans ce cas, l'équilibre précaire ­ de ce travail. De fait, toute tentative de description d'une telle pratique est vouée à l'établissement d'une liste de couples de contraires : chaud et froid, calme et violent, harmonieux et déséquilibré, plié et dépliéS Couples porteurs de tensions, tels ces pôles électriques qui, en raison même de leur différence, loin de s'annuler l'un l'autre, font surgir l'énergie de l'arc électrique. Couples, donc, dont l'ambivalence est le moteur. Car, d'un tableau d'Annie Barrat, quel qu'il soit, il est aussi pertinent, ou aussi impertinent, de dire qu'il est chaud, ou bien encore froid. Froide, sa ligne l'est, bien souvent, qui appartient au registre de l'épure. Mais cette froideur-là est d'autant plus flagrante qu'elle vient s'inscrire sur une matière sensuelle ­ celle de la peinture à la cire ­ qui, vue de prêt, rappelle irrésistiblement celle de la peau. A moins que ce ne soit, à l'inverse, la chaleur de la ligne, souvent proche de l'arabesque, qui vienne réveiller la matité de certains fonds froids que peint Annie Barrat. Réversible à l'infini, le commentaire ici, échoue. Car vouloir décrire, c'est vouloir nommer, c'est-à-dire fixer, immobiliser. Or, s'il est bien une constante, au c¦ur de ce travail, c'est bien son caractère mouvant. Mouvement comme signe, au-delà de la simple recherche d'un namisme, d'un rapport de l'être à la peinture. Peindre la "réalité abstraite du monde", c'est, avant toute tentative d'aboutir à un résultat, poser la peinturecomme un combat. Celui de qui, voulant peindre le monde, doit s'affronter à ses paradoxes.


Pierre Wat - Réalité abstraite Exposition Chinon (37) - Avril 2001



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