Annie Barrat fait de la peinture abstraite. Abstraite, c'est-à-dire, selon ses propres termes, "abstraite du monde". Les formes qui occupent ses toiles - qui les structurent, qui organisent leur surface - proviennent du monde qui l'entoure : architecture, objets du quotidien... Elles en proviennent, autrement dit elles subissent, pour passer du monde aux toiles, un processus d'extraction. Extraction de leur contexte : les résistances électriques qui ont servi de point de départ aux toiles les plus récentes, ne conservent, dans l'espace peint, ni la trace de leur fonctionnalité initiale - l'artiste ne fait pas œuvre de peintre réaliste - ni même le statut de motif. Extraction, également, au sens où le chercheur extrait l'or de sa gangue de pierre ou de boue, mettant la pépite à jour par un processus d'élimination, de soustraction de tout ce qui est inessentiel.
Car c'est cela, que vise Annie Barrat, qui reste profondément dessinatrice dans son travail de peintre. Arriver, par ce passage à la peinture, à trouver ce que l'on pourrait nommer la forme juste. Une forme archétypale, réduite à l'élémentaire. Une forme qui garde en mémoire une sorte d'essence de l'objet qui l'a inspiré, tout en éliminant ce qui, dans celui-ci, était de l'ordre de l'accidentel, de l'anecdotique.
C'est ce processus d'extraction, cette façon de construire en éliminant, cette manière, autrement dit, de faire œuvre abstraite à partir du monde, qui confère à la pratique d'Annie Barrat sa qualité la plus évidente : la justesse. Celle d'un trait qui jamais ne paraît arbitraire. Celle, enfin, d'un jeu d'accords et de désaccords, d'équilibre et de déséquilibre : un travail de composition, pour utiliser des termes de peintre, où l'artiste donne forme à son rapport au monde. Un rapport dont la précarité s'expose en des lignes inachevées, des formes à la limite de la chute, et des mariages de couleur qui oscillent entre le grinçant et la douceur.
Pierre Wat - Extraction Exposition Chatellerault (86) - Mai 2000